Abdelkader Djeriou, comédien et metteur en scène : “J’ai toujours dit ce que je pense sur scène…”

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Abdelkader Djeriou, comédien et metteur en scène
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Au 12ème Festival locale du théâtre professionnel de Sidi Bel Abbes, qui se déroule jusqu’au 25 octobre 2022, le comédien et metteur en scène Abdelkader Djeriou, natif de la ville, a présenté un montage scénique en hommage à Ahcen Assous, metteur en scène, comédien, ex-directeur du Théâtre régional de Sidi Bel Abbes, ex-commissaire du festival.


24H Algérie: Vous avez présenté un seul-en-scène construit à partir de textes de plusieurs pièces de théâtre algériennes lors de la cérémonie d’ouverture du festival le jeudi 20 octobre. Parlez-nous de ce projet ?

Abdelkader Djeriou: Il s’agit de textes de dramaturges algériens. J’ai travaillé sur les oeuvres de Kateb Yacine comme “Ghobret el fhama” et “Le cadavre encerclé”, de Abdelkader Alloula, d’Ould Abderrahamne Kaki, de M’hamed Benguettaf et de Youcef Milla, ce dernier est un jeune auteur algérien. Pour moi, le meilleur hommage pour un homme de théâtre est de continuer dans le même métier, le même combat et les mêmes idées.

C’est dans ce théâtre de Sidi Bel Abbès où j’ai mieux découvert tous ces grands auteurs algériens. Je m’estime heureux d’être né dans une ville où il y a un théâtre logé dans une grande bâtisse au centre de la cité. Un théâtre qui a une histoire, qui a connu un mouvement théâtral, a son propre style artistique. Tout cela m’a amené à me former. Je souhaite que dans 20 ou 30 ans, lorsqu’on voudra me rendre hommage, le meilleur moyen de le faire est de continuer dans le même chemin et que le théâtre continue à vivre.


Qu’en est-il de la scénographie constituée de feuilles blanches accrochées à du fil à linge?

Je me suis inspiré de Kateb Yacine qui lui même disait qu’il collectait les articles de presse évoquant son travail sur le théâtre populaire, le théâtre politique ou le théâtre d’histoire. Ces articles étaient accrochés au fil à linge. Il faisait la même chose pour les textes qu’il écrivait. Ahcen Assous m’a raconté que Kateb Yacine avait rassemblé à la hâte les textes écrits en  fragments de son célèbre roman “Nedjma” pour les envoyer à l’éditeur (publié en 1956). Les fragments et les bouts de papiers partout symbolisent la manière de travailler et de créer de Kateb Yacine. Il était l’idole d’Ahcen Assous et de tous les compagnons de ce poète et dramaturge. C’est aussi une manière de rendre hommage à Kateb Yacine qui était ici à Sidi Bel Abbes.


Il y avait une certaine liberté de ton dans votre spectacle…

La liberté au théâtre, c’est naturel. Cela ne doit même pas faire l’objet d’un débat. Je n’ai jamais reçu une commission de censure pour faire des remarques sur mes pièces par le passé. J’ai toujours dit ce que je pense sur scène parfois en présence des autorités. C’est un acquis pour nous. Cela n’existe pas dans plusieurs pays de la région arabe. Le théâtre algérien bénéficie déjà d’un vaste espace de liberté mais il ne faut pas qu’on rentre dans le discours politique direct ou qu’on recours à l’insulte. Le théâtre est d’abord, un art, un divertissement, une transmission d’émotions, des réflexions, des points de vues…Il y a certainement, une idéologie derrière. Il ne faut pas qu’on craigne le mot idéologie.


L’idéologie est la science des idées, pas autre chose. Chacun véhicule une idée. Entre le public et la scène, il y a un échange d’idées dans le théâtre. Les artistes ont l’avantage d’être dans la lumière alors que le public est dans l’obscurité. Après, il y a le débat. J’estime qu’être artiste est le plus beau métier du monde, contrairement à celui des politiques.


La liberté accompagne le théâtre algérien depuis le mouvement de libération nationale. Cette tendance révolutionnaire est restée dans l’expression théâtrale algérienne même après l’indépendance du pays dans son opposition à des orientations ou des choix politiques. C’est un théâtre qui ne caresse jamais dans le sens du poil. C’est ce qui fait sa beauté.


Que représente pour vous Ahcen Assous ?

Il représente la prise de conscience. Sans Ahcen Assous, je ne serai pas le comédien que je suis aujourd’hui. C’est à travers Ahcen Assous que j’ai pris conscience du vrai rôle de l’art dans la société. J’ai appris à aimer mon pays, mon métier et à faire confiance à moi-même. C’est grâce à lui que j’ai appris ce métier, je ne l’oublierai jamais.


Lors du deuxième jour du festival, il y a eu un débat très intense sur la situation actuelle du théâtre algérien notamment sur la manière de gérer les théâtres régionaux. Que faut-il revoir dans cette gestion ?

Je pense qu’on est arrivé à un point où on a touché le fond. Il faut une réflexion solide, sincère et objective sur le théâtre en laissant toutes nos différences de côté. C’est devenu une question d’existence, d’être ou de ne pas être. La pratique théâtrale est en diminution en Algérie. Aujourd’hui, nous ne savons pas quel théâtre faut-il proposer à notre public. En absence du théâtre et de la culture, des forces obscurantistes occupent les espaces laissés vides. C’est donc un combat, on doit résister. Chacun peut avoir sa propre conception de la gestion des théâtres, mais le service public doit être soutenu par l’Etat.


Tous les Etats soutiennent la culture. L’art ne doit pas être dissocié de l’être humain. Et l’art ne heurte pas la sensibilité des gens contrairement à ceux qui font leurs propres interprétations des textes religieux et poussent les jeunes à la violence. Des comportement maléfiques. Il y a aussi ceux qui développent le discours défaitiste qui s’attaque au moral des jeunes.


L’art véhicule le discours de l’amour, de la paix et de l’acceptation de l’autre. Au théâtre, on accepte tout le monde, les barbus, les filles habillées en mini jupes, les filles en hidjab, les enfants, les personnes âgées, les femmes au foyer, les gens instruits, les personnes à faible niveau scolaire, le médecin, le maçon…Tout le monde est le bienvenu et est assis dans la même salle côte à côte pour assister à un spectacle. Ni le théâtre ni l’art ne sont à l’origine des problèmes dans ce pays, la cause de ses malheurs. Il ne faut donc pas blâmer le théâtre. Dans les moments les plus difficiles de l’Algérie, le théâtre était toujours là, a porté le discours de l’espoir, a provoqué le sourire dans les années 1990. Durant cette période, les troupes sillonnaient le pays en affrontant tous les dangers. Et dans les années 1950, la troupe du FLN défendait la cause de l’indépendance contre vents et marées.


Il faut donc un plus du soutien de l’Etat pour le théâtre

Bien sûr. Ni plus ni moins, il faut juste faire ce qu’il faut à la faveur du soutien du théâtre fait dans les théâtres publics en adoptant un cahier des charges. Les théâtres régionaux sont tenus annuellement de produire trois pièces dont une pour enfants. Les théâtres ont le choix de monter des spectacles populaires, adressés à un large public, et des spectacles de réflexion à partir d’oeuvres littéraires de Mohammed Dib, Tahar Ouettar, Kateb Yacine par exemple.

Les théâtres doivent établir des conventions avec des ministères tels que ceux de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle. Il est de notre devoir de former les générations à aimer le théâtre, à connaître l’esthétique. Des générations décomplexées qui n’ont pas peur du débat, de la vie mixte, de l’autre. Des générations ouvertes sur le monde. Actuellement, les algériens vivent entre eux. Il faut rompre cela et aller à la rencontre de l’autre, s’ouvrir sur toutes les cultures, toutes les langues. 

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