Théâtre : A Sidi Bel Abbes, la folie et la harga s’imposent sur les planches

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Théâtre : A Sidi Bel Abbes, la folie et la harga s'imposent sur les planches
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Au 12ème Festival local du théâtre professionnel de Sidi Bel Abbes, qui s’est déroulé du 20 au 25 octobre 2022, les thématiques de la folie et de la harga dominaient les pièces en compétition.
Le metteur en scène Youcef Taouint pense que l’Algérie est devenue “un musée de fous”. D’où le titre donné à sa pièce “Mathaf al majanine” “متحف المجانين”, un psychodrame qui ressemble à une comédie noire, produit par le Mouvement théâtral de Koléa (MTK).


Trois personnages qui se prennent pour Mozart (Aymen Bounatiro), Einstein (Chawki Benfliti) et Shakespeare (Ayoub Hamidi) sont invités dans ce qui ressemble à un musée pour être honorés. Ils sentent qu’ils sont marginalisés, incomrpis par la société, pensent alors à l’idée du suicide. Un médecin (Sara Haddad), qui achève ses études, doit les convaincre d’oublier le projet de mettre fin à leur vie pour obtenir le diplôme. La mission paraît difficile devant le désespoir des trois “illustres” personnages.


Deux employés (Dounia Khider et Tajdeddine Ramdane) et le gardien de nuit (Samir Labri) tentent de distraire les trois invités, créent une atmosphère de folie et de gaieté pour les éloigner du macabre projet.
Basée sur une scénographie fonctionnelle et dynamique de Mohamed Barjane, “Mathaf al majanine” se distingue par le dynamisme du dialogue et le jeu vivace des jeunes comédiens malgré certaines faiblesses d’interprétation et de diction.


“Dans les habits d’autres personnages”


“La pièce, qui est en tournée depuis une année, est toujours en rodage. Chaque fois, on découvre des choses. Il y a un problème d’interprétation. Les gens n’ont pas fait de critiques sur la scénographie, la chorégraphie ou la mise en scène. Pour les comédiens, il s’agit de jeunes toujours en formation. Ils peuvent rater un spectacle, mais ils font des efforts pour mieux interpréter les rôles qui leur ont été attribués”, a souligné Youcef Taouint, lors d’un débat au Théâtre régional de Sidi Bel Abbes.


La chorégraphie imaginée par Ryad Berroual donne une dose supplémentaire de rythme à une représentation au ton contemporain. En plus de la folie et du suicide, la pièce aborde également le sujet de la harga et critique le faire semblant. “Des algériens se prennent pour des mécaniciens, des médecins ou des entraîneurs. Ils ont le mot sur tout, savent tout. Ils ne sont pas fous, mais se mettent dans les habits d’autres personnages dans la vraie vie”, a constaté le metteur en scène.


Et d’ajouter : “J’ai choisi les personnages de Mozart, d’Einstein et de Shakespeare pour créer le conflit caractéristique dans la pièce. Notre public est divisé. Dans la salle, il y a des connaisseurs qui comprennent le sens du spectacles et du texte interprété sur scène et d’autres qui disent ne rien comprendre. C’est pour cette raison que j’ai choisi de simplifier la narration en évoquant l’idée du suicide. Nous jouons dans des lycées, rarement dans les théâtres régionaux. Nous avons donc un public particuliuer. Cependant, il faut parfois laisser à la liberté aux spectateurs d’interpréter la pièce à leur manière”.


“Win Rana”

“Win rana” (où sommes nous ), écrite et mise en scène par Yekhlef Bouamer, et produite par la troupe Legoual de l’Association Chougrani d’Oran, aborde également la thématique de la folie. Yekhlef Bouamer a repris et réactualisé cette pièce produite en 2002.  “C’est une réécriture du texte pour le mettre en conformité avec les soucis actuels de la société. C’est un spectacle monté à l’origine pour un café-théâtre. Il y a vingt ans, nous avons joué ce spectacle dans des cafés, des cabarets et des fêtes de mariage à Oran”, a souligné le metteur en scène.


C’est l’histoire d’un faux vagabond, entré en dissidence contre la société, qui parle sans arrêt avec son ami, assis sur un banc public. C’est le premier tableau. Dans le deuxième, les deux personnages sont dans un asile psychiatrique. L’un d’eux se rappelle de l’histoire d’Abdelkader le boxeur qui, dans les années 1950, est arrivé à battre un boxeur français favorable aux thèses colonialistes. “Abdelakder était mon père, son histoire est encore peu connu”, a confié Yekhlef Bouamer.


La chorégraphie est utilisée comme “une soupape d’échappement”, selon les termes du metteur en scène. “Une manière de rompre avec “la logorrhée” et permettre au spectateur de “souffler”. La chorégraphie complète quelque peu ce que le texte dit. Dans les prochains spectacles, nous allons essayer de réduire du texte pour qu’il soit fluide”, a noté Yekhlef Bouamer, après des critiques sur “la surcharge” dans le texte.


“Je ne propose pas de solutions”

“En Algérie, le théâtre n’est plus “une école pour éduquer” le peuple depuis 1988. C’est fini. Le théâtre propose des idées, n’est pas là pour donner des leçons. Je crée des émotions, j’expose les problèmes, je ne propose pas de solutions. La troupe Legoual est un petit atelier discret à Oran qui essaie de faire de la formation. Parfois, on fait appel à des professionnels et des universitaires pour assurer des cours pratiques aux jeunes comédiens. Certains acteurs, formés chez nous, sont distribués dans des productions de télévision ou de cinéma en Algérie”, a souligné Yekhlef Bouamer.


“Aujourd’hui en Algérie, il faut faire preuve d’une certaine folie…”

La folie est une thématique présente dans la pièce  (la boite), mise en scène par Dine Fayçal, d’après un texte turc repris par un auteur libyen, inspiré de “la révolution tunisienne” provoquée par l’immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010. La pièce est produite par l’association Ahl el fen d’Ain Defla.  


“Au lieu d’évoquer le suicide, nous avons concentré le traitement dramatique sur l’idée de ce qui peut exister après la mort d’une personne, ce qu’on peut laisser une fois disparu, une œuvre, une création, un livre, une expression, bref, ce qui peut rendre éternel, permettre aux gens d’en parler un jour ou mille ans après. Donc, il y a une différence entre la vie et l’existence “, a noté Dine Fayçal.


L’action se déroule dans un asile psychiatrique où trois pensionnaires s’affrontent surveillés de près par une infirmière. Une infirmière qui pratique un certain diktat. Chaque malade demande à l’autre de “continuer de vivre”.
“Aujourd’hui en Algérie, il faut faire preuve d’une certaine folie pour arracher ses droits auprès d’une administration bureaucratique. Il faut foncer, ne rien craindre pour être écouté”, a relevé le metteur en scène. Dine Fayçal, qui est également infirmier, a exercé à l’hôpital psychiatrique Drid Hocine à Alger. “J’ai vu de près à quoi peut ressembler la folie”, a-t-il confié.


“Une conscience imite une autre”

L’idée de la harga est reprise dans la pièce “Dhamir youhaki dhamir” (Une conscience imite une autre) de Djahid Dine El Hanani, produite par l’Association Masrah Echabab de Sidi Bel Abbes. Dans cette représentation, la harga est vue par le personnage, un jeune algérien déçu et écrasé par la société, comme une échappatoire, une délivrance, la fin d’un calvaire.  “Certains jeunes algériens ne veulent pas se casser la tête, veulent avoir tout facilement. La solution pour eux est de partir ailleurs, peu importe ce qu’ils vont trouver là où ils seront. Ils pensent qu’ils vont trouver le paradis, préfèrent dépenser beaucoup d’argent pour la harga que d’investir dans un projet en Algérie.

Dans leur tête, faire un projet en Algérie serait fatiguant en raison des entraves qui peuvent exister. Ils croient qu’à l’étranger, ils vont trouver facilement un travail et des conditions adéquates d’existence. D’autres jeunes n’ont pas “brûlé” la mer, sont restés en Algérie parce que les conditions de leur éducation étaient probablement différentes. Aujourd’hui, le drame est la démission totale de la famille ainsi que celle de l’environnement social qui entoure l’algérien”, a averti Djahid Dine El Hanani.  

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