A Annaba, les femmes “crient” leur douleur sur scène

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A Annaba, les femmes
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Au 5ème Festival national de la production théâtrale féminine à Annaba, plusieurs spectacles exposent, parfois avec douleur, les souffrances, les douleurs et les rêves brisés des femmes. 


Il y a d’abord, le monologue “Komaïcha”, mis en scène par Toufik Mezaache, produit par la troupe “Founoun wa thakafa” de Sétif, et interprété par la jeune Noussaiba Attout, une personne aux besoins spécifiques. Sur scène, Komaïcha étale tout sans complexe, de sa naissance comme fille handicapée sans membres inférieurs, à son éducation, à ses difficultés de monter les escaliers à l’université, à son désir d’être une femme comme les autres. Une femme qui aime et veut être aimée.


Symboliquement, Komaïcha dialogue avec une petite araignée en faisant le ménage. Elle parle de sa camarade de classe qui convole aux justes noces et évoque le désir d’assister à la cérémonie de mariage en mettant une belle robe comme les autres invitées, mais comment faire lorsque la taille ne dépasse pas les 60 centimètres ? 


“Les personnes aux besoins spécifiques sont ignorées”


“Sansouna” ou Noussaiba Attout a émerveillé le public du festival d’Annaba par son énergie sur scène, son jeu maîtrisé et par sa volonté de tout dire en surmontant l’infirmité physique et l’interdit.
“Koumaicha porte plusieurs messages humains et présente les difficultés que rencontrent quotidiennement les personnes handicapées dans la société dans l’indifférence. A l’université, j’ai demandé à un responsable de me changer la salle car la première était au deuxième étage. Il a sèchement refusé ma demande”, a-t-elle confié lors du débat, après le spectacle.


Toufik Mezaache a précisé que “Koumaicha” est un projet né d’un travail mené depuis huit ans à la Maison de la culture de Sétif sur “l’inclusion  des handicapés dans le champ artistique”.
“Noussaiba est allé dans un espace culturel pour demander à faire du théâtre. On lui a refusé l’accès parce qu’elle était handicapée. Il ne faut pas se mentir, dans nos espaces culturels, les personnes aux besoins spécifiques sont ignorées, malgré quelques rares exceptions”, a-t-il dit.


Le rêve brisé

“Mira”, un monodrame mis en scène par Hicham Boussahla de la troupe Mosaïque de Sidi Bel Abbes, et interprété par Souad Djenati, évoque d’autres drames, d’autres malheurs. Ceux d’une jeune fille orpheline qui fabrique et vend des poupées en chiffons dans le marché et qui porte ses rêves comme un petit fardeau agréable.


Un jour, elle est interpellée par des agents de sécurité, soumise à un dur interrogatoire parce que son fiancé est considéré comme un fanatique. Un autre jour, elle est enlevée par des religieux radicaux qui la soumettent aux mêmes méthodes brutales d’interrogatoire. “Mira, tu veux aller au Paradis ?”, interroge le religieux. 


Entre “Boudjloud” (le bourreau) et “Bouch’our” (l’imam radical), Mira est écartelée entre deux feux, deux supplices. Que reste-t-il de son rêve ? Presque rien ! Même les poupées ont été déchiquetées.
“L’histoire peut se passer dans n’importe quel pays arabe. Mira est soumise à toutes sortes de brutalités, d’humiliations et de violence. Elle est condamnée, torturée, violée. C’est une citoyenne qui paie pour ce qu’elle n’a pas fait. Mira est entre deux pouvoirs, paye malgré elle des dettes”, souligne Souad Djenati. 


Contre “la chosification” des personnes

Souad Djenati a fait preuve d’une grande maîtrise dans son interprétation passant d’un personnage à un autre, d’une situation à une autre, en gardant le même rythme, servie par un éclairage dramatique dominé par le rouge pour souligner les tourments et les spasmes du personnage.
Le metteur en scène a fait en sorte que la pièce commence comme s’il s’agissait d’un spectacle pour enfants en mettant en avant les poupées et les personnages d’animaux. Une dénonciation subtile de “la chosification” des citoyens dans les sociétés contemporaines où les violences et les injustices peuvent avoir plusieurs sources, plusieurs visages.

Produit en 2015, le monodrame “Mira” n’a pas connu de modifications majeures. Selon Hicham Boussahla, l’épisode politique du hirak en Algérie n’a pas eu d’influence sur le spectacle. “Je n’ai rien touché, c’est le même texte et la même mise en scène. Peut être que nous avions prévu des choses, mais c’est loin d’être un spectacle élitiste. En 2014, nous avions protesté (contre le 4ème mandat présidentiel pour Bouteflika)”, a-t-il dit.


Il a précisé que la réactualisation du spectacle n’est pas nécessaire, que son travail est axé sur le comédien et que la thématique traverse les temps. Le monodrame Mira a été présenté dans plusieurs pays dont les Emirats arabes Unis, l’Afrique du Sud, l’Allemagne et le Maroc.  


La fausse “magie” de l’amour

Produite par la troupe Bar’eem el fen de Skikda, “Dhat” (soi) est un monodrame qui étale les souffrances d’une fille dont les rêves ont également été brisés, bafoués. Mis en scène par Asma Ben Ahmed et joué par Belkis Boukeloua, “Dhat” narre l’histoire d’une femme qui rêve de jouer au violon. Elle croit à “la magie” de l’amour, aux roses rouges, aux parfums et aux dîners dansants sur des musiques romantiques.


Une fois “l’illusion” de l’amour passée, elle découvre un ami oppressif, dur, qui ne croit pas aux expressions artistiques. La femme, pourtant pétillante de vie, est emprisonnée dans sa maison et dans ses mauvaises pensées.
Son être sensible et rêveur cède devant un être amer, sans rêves et sans plaisir. Son époux la sanctionne croyant qu’elle n’était pas capable de procréer alors que la stérilité ne venait  pas d’elle. Anéantie, broyée et humiliée, la femme, qui voulait être musicienne, ne croit plus à…la vie.

“Dhat” est aussi un spectacle qui dénonce la violence et la tyrannie que subissent les femmes parce que le destin a fait qu’elles soient liées à des hommes. Des hommes qui n’ont aucune idée du rêve conjugué au féminin, insensible tant à la douleur qu’à l’espoir de leurs épouses. “Dhat” est un monodrame poignant, interprété par une jeune comédienne, déterminée à tracer sa voie dans le théâtre. 

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